Site du 350ieme Squadron

Interview Closterman (Texte) (Histoire)


 


Auteur du Texte:

Alexandre Jaeg 3GMD 2004 -05
Projet Personnel en Humanités
Sur les traces du livre du Grand Cirque,
Rencontre avec un Français Libre


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- A.J : « Bonjour monsieur Clostermann. Passons directement au vif du sujet : quelles étaient les motivations, les vôtres comme celles de vos camarades, pour se porter volontaire pour entrer dans les FAFL ?
P.C. : - Eh bien voyez vous, dans la vie des jeunes Français,du moins jusqu'à aujourd’hui, il y a eu deux grandes périodes : la guerre de 39-45 et la guerre d’Algérie. (...) Il faut dire que,pour moi, dans mon université américaine, pour moi alsacien et pour beaucoup de mes camarades, le problème était simple : pouvons nous tolérer que les allemands soient à Paris ?
En dehors de toutes considérations philosophiques ou juridiques auxquelles devait répondre l’attitude des français.
C’était simple : les allemands sont à Paris, les allemands sont à Strasbourg, surtout pour un alsacien, donc, il n’y a pas d’autre solution, il faut faire la guerre.
Cela m’ennuyait beaucoup.
Je n’avais pas du tout envie de faire la guerre. La seule chose qui pouvait m’attirer, c’était de piloter un spitfire. A l’époque, je pilotais puisque j’étais dans une université américaine où, en plus de mes cours d’ingénieur, je suivais des cours de pilote commercial. J’avais donc déjà beaucoup d’heures de vol.
A la fin, j’en avais marre des avions simples, j’avais envie de voir ce qu’était un pur sang. (...)
Alors, je suis parti faire la guerre parce que d’une part mon père était parti le premier.

- Il était militaire ?
- Non, il n’était pas militaire, il était diplomate.
Mais il était parti avec l’attaché militaire français, qui est devenu le général Valin, qui a commandé les forces aériennes françaises.
Ils sont partis à Londres d’où il m’a écrit une lettre fort belle, que j’ai toujours, dans laquelle il m’explique : il faut que tu t’occupes de ta mère, de madame Valin.
Et puis il me dit,maintenant que tu es un grand garçon, on a pas souvent l’occasion de faire quelque chose pour sa patrie.
Dans le fond, c’est très rare.
Alors rappelle toi que l’histoire ne repasse pas les plats.
Tu as une occasion.
Tu as tous les choix puisque tu es majeur, mais tu devrais être à Londres, dès que tu le pourras.
Embarque madame Valin, embarque ta mère pour Brazzaville, occupe toi d’elles.
Et une fois qu’elles seront parties, pars vers Londres, démerde toi, pars.
Mon père n’a pas dit « démerde toi » car il ne parlait comme ça mais bon... Et Valin s’occupera de te faire rentrer ou bien dans une escadrille FAFL s’il y en a déjà de formée ou une escadrille anglaise dans la RAF.
Et, sans grand enthousiasme, je suis parti pour l’Angleterre...
Alors naturellement, la plupart de mes camarades avaient des motivations différentes.
On parle beaucoup de François de Labouchère.
Seulement on ne lit jamais jusqu'au bout. On dit toujours qu’(il) a dit : « Ce qui était difficile dans le devoir, c’était de trouver quel était le chemin du devoir. » Mais en réalité, on ne cite que cette phrase, on ne cite pas les phases (qui suivent).
Parce que cette phrase sert d’alibi à un tas de gens qui pensent : « vous voyez, c’était difficile que, nous, on a pas bougé, le temps qu’on trouve la solution... ».
Mais après il dit : « entre une vie tranquille dans le midi avec mes parents pas très fier ou partir faire la guerre, faire ce qu’on veut et me réaliser en tant qu’homme Fier... ».
Et en 42, il a été tué, Fier. J’ai connu sa mère, j’ai connu ses soeurs après la guerre.
C’étaient des gens très biens et ils étaient très fiers de la mort de leur fils. C’était une vieille famille française. (...) Ils ne s’en sont jamais remis mais ils étaient fiers quand même !
Bon alors, moi, personnellement, si vous voulez, tout s’est ramené au pilotage d’abord.
Et puis, une fois parti, hop, ça avance, ça marche. Et j’ai pensé que c’était (possible), que les français (...) pouvaient le faire. Parce que nous étions tous des volontaires dans la France Libre, il ne faut pas l’oublier. (...)
L’un de mes camarades à qui l’on reprochait d’arriver avec sous sa veste d’uniforme un pull over jaune canari et des chaussettes jaunes canari, Henri Mattey, a répondu au commandant Mouchotte : « Oui mais mon commandant, moi je suis un civil venu faire la guerre à la place de tous ces militaires qui ne veulent pas la faire ! ». Et il avait bien raison !
Vous savez, nous n’étions qu’une petite cohorte mais le rôle de la France Libre et dans la France Libre de cette FAFL a été absolument hors de proportion, mais hors de proportion avec notre nombre, ce que l’on a pu faire...

- Combien étiez vous ?
- Nous étions 600 dans l’aviation dont à peu près 300 dans la chasse. Je parle bien avant juin 42, débarquement américain (en Afrique du nord).
Après, ce n’est plus la France Libre. C’est la France combattante, c’est tout ce que l’on veut mais ce ne sont pas les FAFL qui s’arrêtent L’escadrille « Alsace » à Biggin Hill en mai 1942 là. (...)
Nous sommes rentrés entre 60 et 70 vivants. Sur les 2500 compagnons de la libération dont 400 à titre posthume, ce qui nous en fait 2100. Si l’on retire les unités, on s’aperçoit que les aviateurs ont eu beaucoup de croix de la libération. Mais pour une raison bien simple : les seuls qui faisaient la guerre constamment, tous les jours, tous les jours, tous les jours... c’étaient les aviateurs. Ce n’était ni la marine ni l’armée.
L’armée, avant le débarquement de Normandie ou Bir Hakeim, la Libye (ne se battait pas).
Entre la Libye et le débarquement, il s’est passé des mois et des mois, tandis que nous, c’était tous les jours, tous les matins,... C’est ca la différence la différence avec l’aviation et surtout, l’aviation de chasse.
Pendant plus de 700 jours, je me suis levé tous les matins entre 4 et 5 heures l’été et à 6h l’hiver pour être en état d’alerte à 8h du matin, tous les jours.
Avec quelques petits arrêts, trois semaines de congé par ci, trois semaines de congé par là, mais enfin, sept cent jours sans débander.
C’était quand même dur.
Quatre cent missions ca fait quand même beaucoup. Alors, la motivation, finalement, après la guerre, je me suis rendu compte que c’était la bonne. (...)Il y a deux phrases que je trouve merveilleuses.
Une de Valéry, l’autre de Gide. (La première) disait qu’ « à chaque terrible époque humaine, on a toujours vu des messieurs assis dans un coin qui soignaient leur histoire et enfilaient des perles ». Et Gide à dit : «Sans les insoumis c’en ai fini de ce que nous aimons. Ils sont le sel de la terre !».
Et vraiment, c’est ce qui s’est passé. (C’était) des garçons très exceptionnels, du moins ce qui me fait croire qu’ils étaient exceptionnels, c’est ceux qui ont survécu dans la paix et qui ont fait dans le civil des carrières extraordinaires.
Vous savez, il ne faut pas croire, qu’une croix de la libération un haut grade de la légion d’honneur facilitait beaucoup (les choses).
C’était peut être un marche pied, mais cela n’allait pas plus loin. Ce qui était vraiment extraordinaire, c’était qu’il n’y avait pas que nous, les jeunes, il y avait aussi les des gens plus âgés.
Prenez un milliardaire comme Pierre Louis Dreyfus, quand je dis milliardaire, multi milliardaire qui ira jusqu'à piloter un Boston du groupe Lorraine. Et qui a fait cadeau à l’Angleterre de 29 des navires de sa flotte marchande. Il n’a pas voulu accepter un centime.
Il a fait 45 missions de bombardement en rase motte. Je prends Romain Garrigue. Vous voyez qui c’est ? (devant mon visage dépité... désolé...) Grand écrivain, prix Nobel de littérature... (...)
Parmi les autres, il y avait Desplantes, l’homme qui a dessiné le mirage, qui était dans les paras, avec le président directeur général de Dassault et ainsi de suite. Qui y avait il encore ? Pierre Mendès France, Vous voyez qui...
- Oui bien sûr, il a été ministre sous la quatrième république. (il fallait bien que je justifie les années investies à m’enseigner l’histoire de France...)
-Mendès France a piloté un boston, lui aussi, du groupe Lorraine. Peu de gens le savent.
Il n’en a jamais fait tellement étal. Si vous voulez, il y avait quand même des gens qui sortaient de l’ordinaire. Et là, je ne parle que d’une escadrille, mais si l’on multiplie les choses, ça va beaucoup plus loin.
Alors donc les motivations des gens qui ont rejoint la France Libre... La première était avant toute : les allemands sont à Paris.
A cela s’ajoutait : les allemands sont à Strasbourg, mais cela revenait à la même chose. On peut difficilement dire autre chose.
- Mais comment preniez vous en compte le risque d’y laisser sa vie ?
- Le risque ? Vous savez, le risque fait partie (d’un tout). A partir du moment où l’on participe à un conflit à cette échelle, vous ne vous faites aucune illusion. La vie ne pèse pas lourd.
A partir du moment ou l’on accepte de s’asseoir dans un spitfire, on sait que l’on pose sa vie dans un cendrier. On la ramasse en rentrant si tout va bien.
Si l’on ne revient pas, elle est perdue.
- C’est un vision des choses que j’ai du mal à concevoir. Cela explique d’ailleurs en partie ma venue. -Mais oui, mais aujourd’hui, les jeunes ont du mal à le concevoir. Mais, si vous voulez, arrive un moment (l’on fait la synthèse) de deux choses que l’on ne connaît plus ou que l’on a oublié.
La première de ses choses est ce que l’on appelle le Devoir, avec un D majuscule.
La seconde est la Patrie, avec un P majuscule. Voyez ! Et ce sont deux Choses ! Et la patrie, on a perdu le sens de la patrie.
Qu’est ce que la Patrie ? La Patrie, c’est la terre de nos pères. C’est l’héritage que l’on nous laisse. Ce sont les autoroutes, les voitures, les centrales électriques...
(...) Quand on reçoit cet héritage, il faut le défendre. Si on ne le défend pas, on ne peut pas le transmettre aux générations à venir. C’est un devoir de base. (...) Et ça c’était très important.
Je me souviens quand après avoir remis les pieds en France, (profond soupir) ça nous a fait un choc lors du débarquement de Normandie.
On est revenu... Et on est revenu les armes à la main. Et on va finir de chasser l’occupant. (...) Vous savez, (si des) gens occupent votre maison, même si vous devenez leur ami après, vous commencez par les foutre dehors. C’était ça... Quelqu’en soient les risques. Les risques étaient énormes (...) puisque les pertes étaient vraiment très dures.
Elles étaient très importantes. Surtout vers la fin, quand je pilotais dans des untités anglaises de très haut niveau, de pointe, et alors là... qu’est ce qu’on perdait comme monde.
- Comme par exemple lorsque vous aviez attaqué un aérodrome et que vous ne rentriez qu’à deux sur huit ou douze.
-Oui, on en laisse six et on rentre à deux.
Mais ça, ça arrivait souvent. (Surtout) pour les attaques de train.
Mais, bon, ben, que voulez vous, c’était un risque quotidien. On n’y pouvait rien. C’était comme ça, à partir du moment où on y était. Nous n’étions pas les seuls. Il y avait des milliers, des milliers et des milliers d’autres jeunes gens. Vous savez, la Royal Air Force a perdu 80 000 pilotes et navigants. 80 000... rien que pour la RAF... Les seules grosses pertes qu’ont eu les américains, c’étaient leur aviation. (...) Quand on parle de la libération de notre pays, c’est très simple.
Sans la Royal Air Force, de 1940 à la bataille de Londres, on perdait la guerre.
C’est là qu’ils ont bloqué les allemands sur les rives de la manches.
C’est l’aviation anglaise qui a réussi à battre la Luftwaffe.
C’est tout une bande de gamins, car c’était des gamins sans expériences, ces pilotes de la RAF. Ils ont eu des pertes terribles d’ailleurs, mais ils l’ont fait ! Ils l’ont fait avec beaucoup de courage. (...) Si les allemands avaient réussi à traverser la Manche, nous aurions été foutus. Mais après, il fallait la gagner. (...)
Alors, quant aux motivations, je le répète, (elles) étaient simples : c’était... Je n’aime pas les grands mots... Mais c’était libérer la France. (...) Vous savez, je n’arrive pas à croire que l’on pouvait se promener sur les Champs Elysées et voir tout les cinquante mètres un
drapeau allemand et ne pas réagir.
Quand on voit le film des troupes allemandes passant sous l’arc de triomphe, en 40, descendant les Champs Elysées avec ces officiers allemands à cheval et tout ces fantassins, (on se demande) comment tout ces français ont pu supporter ça. Et là, ils sont sur les trottoirs, à regarder. C’est tout juste s’ils ne font pas de petits signes.
Mes compatriotes m’ont beaucoup déçus à cette époque là, beaucoup, beaucoup, beaucoup... Les choses étant ce qu’elles sont et le monde étant ce qu’il est, ils se sont rattrapés plus tard, mais enfin... (C’était) quand même dur à supporter.

- Pourriez vous me détailler quelques parcours pittoresques de certains de vos camarades pour
rejoindre les FAFL?
-Oh, moi, vous savez, je suis monté à bord d’un bateau et je suis arrivé à Liverpool. Ce n’est pas plus pittoresque que ça. Mon ami, Jacques Remlinger, ne s’est pas fatigué non plus. Il faisait ses études à Arrow. Il a pris le métro et il était arrivé ! (...) Mais parmi tout ces garçons, il y en avait qui avaient eu des parcours incroyables, risqués. (L’un deux), par exemple, a reconstruit son vieil avion dans une grange, a ramassé l’essence goutte par goutte et traversé la Manche.
(Mais) il a été tué à la guerre par après. Je donne une liste, par exemple, de treize garçons qui ont quitté Toulouse le 17 ou le 18 juin. Sur les treize, douze ont été tués à la guerre. (Ils) étaient tous des garçons de très haut niveau. (...) Au Normandie Niémen, les quatorze premiers pilotes venus de l’ Alsace (groupe de chasse),(...) pour en former l’épine dorsale, étaient tous des pilotes expérimentés.
Sur les quatorze, il n’en restait plus que trois six mois plus tard.
Les pertes étaient très lourdes, mais on finissait par s’y habituer si je puis dire. Ca devenait une sorte... d’anesthésie, d’anesthésie mentale.
-A la fin, cela ne vous choquait plus...
-Ce qui choquait, c’était les drames, c’était le feu. Quand un avion s’écrasait en feu.
Quand un camarade s’écrasait sur le terrain, le médecin l’achevait de trois ou quatre piqûre de morphine. L’euthanasie était pratiquée sur les grands brûlés à grande échelle.
On ne savait pas comment (soigner) les brûlés à l’époque. On les traitait aux bains de sels et à la gentiane... Vous imaginez... Il n’y avait pas de pénicilline non plus.
La pénicilline est venue beaucoup plus tard, à la fin de la guerre. Les américains en étaient très avares. Mais ce genre de choses laissaient un peu... rêveur...

- Par rapport à votre engagement, vous n’avez pas fait mention de l’appelle du 18 juin.
Comment l’aviez vous perçu ? -L’appel du 18 juin ? (...) Je l’ai lu dans un journal américain parce que j’avais la chance d’être en dehors du coup. J’étais dans une université américaine. J’étais au Caltech. (...)C’est l’équivalent de Centrale aux Etats Unis, comme MIT est l’équivalent de Polytechnique. (...) J’étais dans le Ryan’s College, le collège aéronautique. (...) Mon père m’a écrit depuis Rio où il était consul général.
Il m’a dit : « Cherche dans un journal américain si tu trouves quelque chose sur un certain général de Gaulle ». Et finalement, j’ai trouvé à la bibliothèque. J’ai découpé l’article, ce qui n’était pas correct, mais bon... Il y avait un tiers de colonne avec une photo.
Une gueule très triste, un képi à feuille de chêne... Mais, dans l’article, il y avait quelque chose qui m’a beaucoup impressionné. C’était une phrase : « La France a perdu une bataille, mas elle n’a pas perdu la guerre ! ». C’était là que l’on parlait de l’appel du 18 juin, mais sans en donner le texte.
J’ai envoyé ça à mon père, voyez.
J’ai lu (le texte) que plus tard, six mois plus tard. Mais enfin, l’appel du 18 juin correspond à un sentiment, je dirais, général chez nous. C’était ça le principe. Sans ça, ce n’était pas la peine d’aller faire la guerre. C’était pour des prunes, cela n’en valait pas le coup.


(...) En France, l’on a des dates mythiques, comme 1515, Marignan. Et le 18 juin est l’une de ses dates.
Le personnage de De Gaulle est un personnage extraordinaire. (...) Voici ma photo favorite du père De Gaulle.
Vous allez comprendre tout de suite pourquoi. Il a un air qui ne lui pas du tout.
Ce n’est pas lui cet air triste, pensif... Cette photo a été prise le 14 juin 1944 à la plage de Courseulles au moment du débarquement de Normandie. 14 juin 1944... C’est à dire exactement quatre ans, jour pour jour et heure pour heure, donc le 14 juin 1940, après qu’il soit arrivé à Londres.

-Ah oui ?
- C’est fou, n’est ce pas ? C’est le destin, la roue du destin... Il arrivait à Londres sur cette phrase très belle : « ... en solitaire et naufragé de la désolation. ». Il était tout seul. On l’avait installé dans un bureau que des français lui avait mis sa disposition. On avait ajouté une table, deux fauteuils, une chaise. Un officier français de l’ambassade est venu se mettre à sa disposition, De Courcel. Et c’est tout... C’était la France Libre...
- Mais comment se fait il que se soit lui qui ait servi de fédérateur ?
- Ah ! C’est ça le miracle ! Vous savez, la France a toujours eu beaucoup de « pot ». « Pot » qu’elle ne méritait pas toujours. Mais enfin... C’est un miracle ! Comment expliquer qu’un bonhomme seul, s’est battu contre les anglais, les américains, les allemands, les russes, tout le monde y compris ses propres amis, ses propres alliés et ennemis avec un tel et un seul but : rendre à la France son indépendance Totale. Libre. La république. Les lois de la république. Rien d’autre.
On reste (sidéré) devant le culot d’un bonhomme tout seul... Pensez aux millions d’hommes que les alliés (...) ont mobilisés alors que nous, dans la France Libre, nous n’étions peut être 800 000. Et encore... Au bout de deux ans... Et on s’est retrouvé à la fin de la guerre à égalité de droit (avec les autres alliés), tout ça grâce à cette volonté incroyable. Les américains, mes anglais, les russes auraient pu se débarrasser de lui comme ils voulaient. Ils n’ont jamais osé. Et c’était cette force... (...) Je crois que dans la vie, il y a des gens qui ont une force, une volonté hors de proportion avec leur puissance. De Gaulle en est l’exemple type. (La première fois qu’) il m’a reçu, je suis sorti de là... pas haut... - Il était vraiment très impressionnant...
-Oui, il était vraiment très impressionnant. Dans ma vie, j’ai rencontré deux personnages très impressionnants : Pie XII et le père De Gaulle. (...) Je n’étais pas le seul : tous mes camarades... Nombre de gens disaient : « Mais enfin, vous allez voir, moi, je vais lui dire ! » et ils redescendaient la queue entre les jambes. Il y avait quelque chose chez lui.
C’était un personnage d’un rigueur intellectuelle, morale, d’une honnêteté extraordinaire. (...) Je crois qu’il restera dans l’histoire de France comme un très grand personnage. (...) c’est une chance que nous l’ayons eu à ce moment. Imaginez une seconde qu’il n’y ait pas eu De Gaulle. Les anglais et les américains auraient naturellement débarqué, les russes auraient gagné la guerre.
Et que ce serait il passé ? Les américains auraient installé un gouvernement en France.
Vous ne savez peut être pas que l’idée de Roosevelt était de créer un état qui s’appelait Nordland qui comprenait le nord de la France, la Belgique, la Hollande, le luxembourg. Un espèce d’état tampon.(...)
Et par dessus le marché, on considérait que la France devait faire partie d’un ensemble qui serait sous contrôle et sous mandat de l’ONU pendant 20 ans.
L’empire, n’en parlons plus, il reviendrait aux américains, naturellement.
Quant à l’Afrique française, elle disparaissait et devenait un mandat américain. C’était très bien organisé (...).

-Pour revenir un peu à notre sujet, pourriez vous me parler de vos premières expériences au combat ? De ce que vous aviez ressenti, perçu ?
-Vous savez, un combat dure quelques secondes. Les gens ne se rendent pas compte. (...) Cela se passe très vite, toujours (de manière) inattendue. Cela demande une attention permanente.
Cela peut arriver d’une fraction de seconde à l’autre et cela pendant des jours et des jours et des semaines. Il pouvait se passer un semaine sans qu’il ne se passe rien et le lundi d’après on se retrouve dans ... un cafouillis. Il ne faut pas oublier que les avions se croisaient à des vitesses cumulées de plus de mille kilomètres à l’heure. Ca fait très vite ! Ca n’en a pas l’air mais cela demande des réflexes très étudies, enfin façon de parler. Il faut beaucoup de chance.
J’en ai eu (une) énorme. J’ai eu énormément de chance pendant cette guerre, d’en sortir vivant. J’ai juste attrapé cette balle dans la jambe, et... c’est tout ! Alors vous vous rendez compte. Presque trois ans de combat aérien sans rien. C’est inexplicable. (...)
- Mais que ressentiez vous quand vous rentriez de mission ? Vous étiez fatigués, las ?
- Oui, épuisé !
- Moralement ?
- Nerveusement. c’est nerveux, tout est nerveux.
Tout passait par les réflexes. On finissait par ne plus réfléchir. On n’arrivais pas à réfléchir assez vite. Les nerfs réagissaient plus vite que le raisonnement.
-Quand vous partiez, Aviez vous une certaine assurance ? Voyez vous ça comme une fatalité ?
-Un de mes camarades, le général Andrieu(...), disait : « Le pire dans la guillotine, c’est la veille... ». Comprenez, il n’avait pas tort.
Quand on rentrait, on était là : « Ah m... il faute recommencer demain matin .
Que diable suis je venu foutre dans cette ...».
Et oui après, on prenait une douche, on allait au mess, on buvait une bière, on racontait les grands coups aux camarades. On retombait dans un univers normal.
Tant que nous opérions depuis l’Angleterre, avant le débarquement de Normandie, le soir, on se retrouvait dans une vie normale.
Comme nous étions les seuls à faire la guerre, nous nous retrouvions dans un univers de gens qui travaillaient dans les usines, qui travaillaient dans les bureau, qui étaient dans l’armée, en uniforme qui était là comme... le héron de Buzzati.
Tous ces gens qui allaient au restaurant, au cinéma ou boire un verre le soir... Nous nous retrouvions au milieu de ces gens là.
C’était une douche écossaise terrible.
Se retrouver dans un univers normal après avoir été dans un univers de fou pendant une heure ou deux, c’était ce qui était le plus dur pour le système nerveux et pour la fatigue.
-Il y a quelque chose qui personnellement m’a choqué dans votre livre.
On peut parfois avoir l’impression par rapport au décompte des victoires aériennes que vous perceviez cela comme un jeu.
On peut avoir l’impression que la notion de mort est absente assez paradoxalement. -Oui, vu de l’extérieur, un combat est un magnifique (objet) de géométrie.
C’est très beau un combat aérien si l’on arrive à s’extraire et à se dire qu’il n’y a pas mort d’homme, que ce n’est qu’un exercice.
Cela relève de la géométrie dans l’espace.
Il faut trouver la solution de l’équation dans les deux ou trois secondes parce qu’à chaque (instant) le problème qui se présente est différent. C’est cela qui est difficile...
-Mais par rapport, à vos adversaires qui tombaient, quels étaient vos sentiments ?
-Tant que l’on tirait sur une boite en fer avec des croix noires dessus... Dans une boite en métal, on ne voyait pas l’homme.
Et puis un jour, il se passait quelque chose qui faisait que l’on voyait l’homme et là, ça vous foutait un choc.
(...)
On s’aperçoit finalement que l’homme du XXème siècle fait des études, des humanités, etc... Mais sorti de cela, on se retrouve dans un univers primaire : vie / mort. Il n’y a rien entre les deux.
On est pas préparé à ça. J’étais dans un université américaine, près de la plage de Malibu, San Diego, Hollywood... C’était juste à coté. C’était le rêve ! On apprenait à piloter le soir dans un magnifique aéro-club. La mécanique des fluides, j’adorais ça ! C’était le rêve... Or, on vous sort de là et vous vous retrouvez avec des gens qui veulent vous tuer, tout ça dans un univers de fou.
Il faut comprendre la fatigue que cela représentait.
On volait à 10 000 mètres d’altitude en permanence, sans cabine (pressurisée) et nous respirions de l’oxygène pur. Je tiens à vous dire que les poumons en prenait un vieux coup. Nous avons tous, moi y compris, eu des problèmes pulmonaires. (...) Et les G... Il n’y avait pas de combinaison anti - G à l’époque. On prenait des G négatifs -2 -3 et des positifs jusqu'à 5 - 6. 6 sans combinaison, c’est du rail ! Il faut 2 - 3 secondes pour se remettre. Tout cela représentait une très grande fatigue. En plus, on pilotait des avions qui étaient déjà en soit, surtout à la fin de la guerre avec le Tempest, un peu difficile voire même dangereux.
C’était des fins racés. Tout était fait pour la performance. Ce n’était pas une petite mère adorable comme le spitfire. Tout cela demandait une attention permanente. Quand vous rentriez d’un bombardement en rase motte, il fallait encore faire attention de ne pas vous tuer à l’atterrissage. Une perte de vitesse dans la dernière branche était fatale.
Et puis, il y avait d’autres avions. Cela nécessitait une attention permanente.
C’était très fatigant ! Evidemment, cela ne durait pas jusqu’à la saint Glin Glin.
Ca n’a duré que trois ans. Mais trois ans c’était pour moi largement, largement, suffisant. Heureusement, il y avait des périodes de relaxe, du moins jusqu’au débarquement. Après, nous étions dans des endroits impossibles où il n’y avait rien à faire. C’était la Belgique, la Hollande, l’Allemagne... C’était des aérodromes qui avaient été bombardés à mort par les américains.
Nous leur avions d’ailleurs reproché d’avoir bombardé tellement inutilement des aérodromes dont nous savions que nous allions en avoir besoin un mois plus tard. Ce qui fait que nous arrivions dans des champs de ruine.
Cela a eu le défaut de pousser les allemands à une résistance à mort.
-J’ai pu lire que les allemands avaient eu dans les derniers temps plutôt tendance à hâter l’avance américaine et à ralentir de préférence les soviétiques afin que le pays tombe dans sa plus grande partie aux mains des occidentaux. (...)
-Très certainement, très certainement.
On a très mal joué. On a très mal joué. Le drame de cette guerre - Il y a toujours un aspect humain dans toutes les guerres quelle qu’elles soient -, un peu comme le roi Alexandre et Napoléon, etc, il y a toujours quelqu’un qui fout la m... alors qu’on croit que tout va bien.
Et il y avait des accords (entre russes et américains influencés par) l’admiration qu’avait Roosevelt pour Staline, Staline qui était un monstre froid...
- Vous l’avez connu ?
- Non, grand Dieu, non. C’était un très grand personnage. Il était comme un anaconda.
C’est une merveille de la nature mais c’est un grand danger. Leur idée était - ils se sont rencontrés très souvent - : « Nous allons amener la paix pour deux siècles. Nous allons partager le monde.
Vous vous occupé de cette partie là et nous de cette partie là.
Chacun maintient la paix dans sa partie. On va mettre au pas les gens qui veulent vivre de leur coté. Et c’est ce qui était très grave. (...) Ses accords (...) ont amené les deux tiers de l’Europe entre les mains des russes jusque dans les années 50 puis du communisme avec ce que cela a pu représenter pour les libertés individuelles. C’était absolument dramatique. (...) Vous savez, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
C’est Malraux qui a très bien connu , certainement l’homme qui a le mieux connu... J’espère que vous avez quand même lu Malraux ?
(petits signes honteux avouant la négative)

-Oh ! M... ! Ooh m... ! Ooooh ! Oh !... Oh ciel ! (...)
Il était communiste à mort. Il a fait la guerre d’Espagne. Il y avait créé une escadrille de bombardement en 36. C’était un personnage étonnant.
Il était devenu grand ami de De Gaulle, (qui) l’aimait beaucoup et l’appréciait énormément. C’était un homme d’un jugement très sûr.
Il avait toujours des formules, des expressions excellentes.(...)
Après cette leçon d’histoire hautement philosophique, revenons à notre sujet.
- Oui, comment considériez vous vos adversaires allemands ?
-Très bien ! Les pilotes, oui ! Même pendant la guerre, on se traitait très correctement.
Si l’on était descendu, il fallait être pris tout de suite par la Luftwaffe, et pas la Gestapo ni par la Waffen SS, ni par la Wehrmacht. (...) En général, tout les pilotes de chasse forment une « mafia » internationale. (...Par exemple, ) même avant la fin de la guerre, nous avions reçu cinq Messerschmitts 262 à réaction, pratiquement le lendemain de l’armistice. Que devions nous en faire ? On va remettre les Pilotes Aux Américains?.
Et puis on les a gardé comme ça pendant une semaine.
On en a renvoyé trois qui voulait rentrer chez eux. On leur a donné des vêtements civils, de l’argent, etc... Les deux autres préféraient être prisonnier, mais chez les anglais. Ils sont donc parti dans un camp anglais chargé de chocolat, de cigarettes, etc... On trouvait ça normal. Pendant une semaine, on a bu des pots.
Même en ne parlant pas la même langue, on arrivait à se comprendre. Il n’y a jamais eu de problèmes. J’ai toujours été ami avec de nombreux pilotes allemands.
Je suis le parrain du fils de Rudel, un des plus grands pilotes de combat de l’histoire. Vous vous rendez compte : Hitler a du créer une décoration spécialement pour lui. C’est pas peu dire ! Il est d’ailleurs le seul allemand à l’avoir reçu.

- Quel est cette décoration ?
- c’est la croix de chevalier avec épées, diamants et feuilles de chêne en or et non pas en argent. (...) Il y avait quelque chose d’ignoble. Les russes avaient exigé, enfin demandé aux américains de leur remettre immédiatement tous les pilotes ayant plus de cent victoires et tous les pilotes d’avion à réaction.
Et vous savez qu’une bonne part d’entre eux sont rentrés dix ans plus tard.
C’était contraire à toutes les lois de la guerre.

- Il y avait par exemple Erich Hartmann.
-Quand Hartmann est rentré, il pesait 37 kilos.(...)
- Vous étiez aussi lié avec Adolphe Galland, il me semble ?
-Galland, je l’ai bien connu. On était ami, on était copain. Mais mes grands amis ont été Gunther Rall, le pilote de chasse et Rudel. C’était deux amis, amis. Ils venaient chez moi,j’allais chez eux, etc... (...)
-Est ce que cela ne vous paraît pas absurde de s’entre-tuer une fois dans le ciel pour devenir amis au sol ?
- Certainement ! Exactement ! C’était notre leitmotiv. C’était : « Mon dieu, comme c’est c.. ! ». (...) Nous étions toujours partis du principe que nous représentions dans nos pays respectifs une espèce d’élite.
Ce qui est très drôle, c’est que vous ne verrez jamais un pilote de chasse allemand saluer (à la manière nazie, le bras tendu). Ils saluaient (à la manière de tous les autres militaires du monde), même en face d’Hitler. Le seul qui l’a fait une fois et qui s’est fait littéralement mettre en boite, c’est Hartmann quand Hitler lui a remis (sa croix de fer avec) épées et diamants. (...) Tout ses copains, quand ils ont vu le film, lui ont dit : « Ben dis donc... » car on le voyait sur toutes les photos saluant ainsi.
-C’était plus par esprit rebelle ou bien pour marquer leur neutralité ou leur opposition politique ?
-Déjà, c’était par snobisme. On n’est pas hitlérien. (...) On est pas populiste. C’est un fait,surtout au début. La chasse allemande était le privilège de certaines familles, Comme c’était le cas en France en 1918 d’ailleurs.
- Donc ils ne se considéraient pas comme nazis ?
- Non ! Si vous voulez, pour un garçon simple, comme l’était Rudel... Eh bien, j’ai pu parler d’Hitler avec lui, et ce que je n’ai jamais compris, il m’a dit : « Bon, ben oui, enfin... ». Si vous voulez, il ne situait pas Hitler comme nous, nous le situons aujourd’hui.
Pour lui, c’était quelqu’un comme le président de la république. Leur intérêt, c’était qu’on leur avait donné des avions magnifiques. C’était ça pour la plupart des pilotes. Seulement, ils le voyaient au travers de cela. Sans nazisme, ils n’auraient pas eu ses machines si somptueuses...
-Ils n’avaient donc pas de motivations spécifiquement politiques ou idéologiques ? Cette vision des choses peut paraître un peu puéril ?
- Des motivations politiques, certainement pas ! Vous savez, l’Allemagne est un pays tout jeune. Avant Bismarck, ce n’était que douze ou quatorze principautés. C’était pas un pays comme la France. La France et l’Angleterre étaient pratiquement avec l’Autriche et la Russie les seuls pays européens structurés. (...) L’Allemagne n’existait pas. C’est Bismarck (et Guillaume II) qui l’ont créé après la guerre de 1870 au château de Versailles. (... Rudel), était du nord. Son père était un ministre protestant. C’était des gens très simples. Ils n’avaient pas d’engagements politiques. Et c’est pour ça qu’il n’a jamais pu rentrer directement dans la Luftwaffe. Il est entré dans un aéro-club planeur, Lufthansa, l’aviation commerciale puis c’est la guerre qui l’y a amené. Il voulait faire de la chasse mais c’était réservé à une certaine aristocratie. Il n’a pu faire que du Ju 87, un avion d’assaut, le stuka. Par contre, ce qu’il a fait
restera dans les annales de l’aviation comme quelque chose qui sort absolument de l’ordinaire.
-Il y a une histoire que je trouve assez édifiante pour illustrer l’absurdité de la guerre. C’est cette histoire de votre lointain cousin allemand, pilote dans la JG 300.
-Ah oui ! Là encore, en Allemagne, il y a les rhénans.
Le Rhin a toujours été jusqu'à ces dingues de Bismarck et d’Hitler une rue. On habitait du coté pair ou du coté impair. Les rhénans d’un coté, les alsaciens et les lorrains de l’autre. On s’est toujours parfaitement
entendu. (...)
Il a vraiment fallu les deux guerres pour que l’on (s’affronte). C’est ça le scandale. (...)
Vous savez, après la guerre, il n’y avait plus beaucoup d’archives bien que les allemands étaient très très fier de (les) conserver. J’ai su cela par ses tantes. (...) J’ai fait faire des recherches au travers des archives allemandes et j’ai retrouvé une ou deux photos.
C’était un pilote lambda. Mais cela donne une idée de l’absurdité des choses. (Son nom) était Klostermann avec un K car il n’y a pas de C chez les allemands. (...) Clostermann s’écrit avec K en allemand et avec un C en alsacien...
- D’où votre famille est elle originaire ?
- Ma famille est D’Obernai. Ma mère est lorraine, de Forbach. On avait tout pour plaire...
- Cela ne vous a jamais posé de problèmes dans les FAFL ?
-Non. Ma mère était férocement anti allemande comme tous les lorrains. Mon père était en bon alsacien, ... pareil. Ma mère appelait toujours les allemands les « alboches ». C’est le vrai nom. Le mot « boche » n’existe pas. Cela vient d’une tribu qui s’appelait les « alboches ». (...)
Sans la révocation de l’édit de Nantes, nous n’aurions jamais eu de problème en Alsace entre les catholiques et les protestants.
Dans ma famille, cela a été le drame. Les protestants sont partis en Allemagne, et les catholiques sont restés. Et justement, (ce lointain cousin, Bruno Klostermann) était de la branche protestante qui a essaimé en Angleterre, en Hollande.
En Allemagne, il ne restait que ceux là. (...)
- Je posais cette question par rapport à quelque chose que j’ai pu lire. Il s’agissait de la stupeur d’un haut émissaire du gouvernement britannique quand, en visitant les installations du projet Manhattan - la bombe atomique américaine -, la plupart des gens autour de lui avaient des noms à consonance germanique et parlaient avec un accent prononcé. (...) Après la guerre, comment s’est passé votre retour à la vie civile ?
- Dès que j’ai appris que je pouvais être démobilisé, - les français libres avaient la priorité, ceux engagés avant novembre 42 -, (je l’ai fait). J’ai été démobilisé au mois de juillet ou septembre 45. J’ai fait la queue sans rien dire, j’ai touché mes 20 000 balles de prime de démobilisation, trois chemises, deux paires de chaussettes et je suis rentré chez moi.
Mon père était encore en Afrique australe. La première chose que j’ai fait : c’est aller à la pèche !
-Oui pour vous ressourcer...
-Ah oui, c’est tout dire...
-Dans le dernier chapitre du Grand cirque, on peut avoir l’impression que vous avez une certaine forme de regret.
- Oui. Le premier réflexe, c’était qu’on se sentait tout seul, comme les ouvriers d’une usine qui ferme. Nous étions logés, nourris, blanchis, payés et puis on se retrouve... dans le vide. Je me souviens de mon ami Jacques qui m’a dit : « Tu vois mon vieux, ils ne vont plus avoir besoin de nous.
On va avoir intérêt à se tirer. On va se casser car, tu verras, ça va devenir désagréable ! » C’est toujours comme ça après les guerres. On n’aime pas avoir des dettes. C’est classique... Les pays entre eux, les individus entre eux, etc...
- Vous n’avez pas gardé de séquelles, de traumatismes ?
- Ah non, non. J’ai eu l’intelligence de ne pas de jouer à l’ancien combattant, de ne pas aller dans les bistrots au milieu des copains : « Oh ben tu te souviens... », mais de foutre le camp.
Je remontais la Seine jusqu'à Châtillon sur Seine avec une canne à pêche dans une vieille BKW. Je couchais dans des auberges d’écluse. La Seine était navigable à l’époque jusque très haut. (...) Ce n’était pas polluer, c’était la merveille des merveilles. (...) j’ai pêché toutes les espèces poissons. On finissait par des truites à châtillon sur Seine, les carpes, etc... C’était très amusant. C’était une très bonne expérience.
J’ai retrouvé les français de base. J’ai aussi eu une expérience avec l’administration française. Elle était tristounette. Nous avions l’habitude de l’efficacité anglaise. Et puis on s’est aperçu que si les français étaient égaux entre aux, mais que certains se considéraient plus égaux que les autres ! Je me souviens quand il a fallu que je refasse des papiers : permis de conduire, carte d’identité, passeport et j’en passe. C’était une corrida comme vous n’imaginez pas. A chaque fois cela finissait par : « Mais vous n’étiez pas prisonnier ? -Non !! Je n’étais pas prisonnier ! - Ah bon... Le fait de ne pas avoir été prisonnier était dérogatoire.
Finalement, je me suis dit que j’allais aller au premier bureau de tabac m’acheter l’un des ses petits insigne en fil barbelé que portaient tous les français prisonniers au veston.
Ils manquaient vraiment d’amour propre. (...) Au bout d’un certain moment, je répondais : « non, j’ai couru plus vite que les autres !».

- Nous allons peut être nous éloigner un peu du sujet, mais j’ai encore quelques questions plus personnelles, en tant que passionné d’aviation.
- Dites, dites !
-Qu’est ce que cela vous faisait de voler sur Spitfire ?
-Ooooh ça... Alors là ! tous les gens qui ont fait du spitfire... n’en sont jamais revenu. Je peux vous citer (un passage de mes mémoires à paraître dans le courant de l’année). « J’ai eu le coup de foudre qui va changer mon opinion de la guerre. Quand je saute du camion, elle - car un avion chez les anglais, c’est féminin - comme un bijou dans un écrin de velours blanc, mon premier spitfire repose sur un tapis de neige. Il sort de révision, semble tout neuf. La peinture grise est mate sans les traînées noires oxydées des échappements, seul la cocarde de la RAF sur chaque flanc brille. Les allemands l’appellent l’oeil du paon. Dieu que cet avion est beau !
Cette ligne féminine aux courbes fluides, douces comme des hanches de femme avec la bulle de plexiglas du poste (de pilotage) posée sur son fuselage. Malgré ses deux canons, il a la grâce d’un cygne. - Car c’est vrai...- Je l’ai aimé comme un jeune chevalier le jour de son adoubement quand il aperçoit son premier destrier sur les marches (...). dès que l’on prononce le nom sacré du spitfire dans une assemblée de pilotes de chasse, c’est un silence recueilli comme si l’on parlait de Marylin ou d’un vin. » - Même les copains de mon fils Jacques parlaient encore de spitfire comme si c’était quelque chose de mythique-Entre nous soit dit, encore maintenant, c’est le même sentiment qui perdure
-Alors ! Vous vous rendez compte ! « Cinquante ans après la bataille de Londres, les vieux pilotes de l’époque ont la larme à l’oeil, se remémorant la jolie petite fiancée du premier amour aérien de leur vie.
Les jeunes pilotes d’aujourd’hui ne rêvent que d’en essayer un. Mais attention ! Comme les jolies filles, maltraité, le spitfire se venge et tue ». J’ai retrouvé dans les archives l’étude de Corky Meyer, (...) le pilote d’essai de Grumman, qui a écrite sur le spitfire quelque chose d’étonnant. « On a vraiment l’impression de lire le compte rendu d’un puceau sur sa première expérience : « Il n’est pas discutable que le spitfire soit l’une des plus belles silhouettes de chef d’oeuvre de chasseur sorti d’une planche à dessin. Son aile elliptique, son long fuselage étaient beau à regarder, et les qualités de vol en rapport avec cette élégance.
Sans trop parler du long nez, de attitude très cabrée et de la visibilité vers l’avant qui obligeait à rouler au sol en zigzag d’homme ivre, On m’avait prévenu juste avant mon vol que la (pompe) hydraulique avait un problème et de me méfier des freins.
Les chevaux du moteur merlin, beaucoup de surface ailaire, un gouvernail puissant me firent oublier les freins.
Dès que je pu me mettre ne ligne de vol et voir ou j’allais, je fus enchanté par son accélération. Il quitta le sol après avoir roulé à peine 150 mètres face à un vent de quand même 20 noeuds. Il grimpa comme un zéro japonais. Les soit disant défauts de l’avion s’étaient évanouis. Le décrochage était bon enfant, la petite chute d’une aile à la basse vitesse inouïe de 110 km/h.
Les vrilles étaient celles d’un avion école avec sortie immédiate dès que les commandes étaient lâchées. Je n’ai même pas eu besoin de compensateurs que je ne suis d’ailleurs même pas arrivé à trouver dans le désordre britannique de disposition des équipements dans le cockpit. La stabilité sur les trois axes était suffisamment faible pour ravir un pilote de chasse et suffisamment élevée pour permettre de lâcher les commandes en air turbulent.
Le spitfire était meilleur pilote que ses cavaliers.
La voltige était un délice. L’avion répondait à la pensée du pilote, apparemment sans effort.
Les qualités de vol étaient si merveilleuses qu’au bout de quelques minutes à peine, je dessinais quelques huit inversés. - Ben mon vieux ! il était gonflé ! - Ce n’était pas plus compliqué que de manger une tranche de gâteau. Même pendu dans le harnais britannique compliqué mais confortable, je n’ai jamais pris autant de plaisir à bord d’un avion de chasse et je me sens parfaitement à l’aise dans n’importe quelle position.
Pas difficile de comprendre comment des pilotes formés à la hâte, épuisés, réussirent à contenir avec ce chef d’oeuvre et avec autant de succès la Luftwaffe pendant la bataille d’Angleterre.
J’avoue que mes gros matous (surnom donné aux avions Grumman dont les noms de chasseur reprennent la racine « cat » du wildcat du début de la seconde guerre mondiale jusqu’au F 14 tomcat, intercepteur embarqué à réaction) : Wildcat, Hellcat, Corsair, P 47 étaient des bêtes de somme comparés au spitfire, magnifique étalon arabe. Quant à l’atterrissage, il n’était pas plus difficile que de descendre un dry martini bien frappé. »
-C’est éloquent...
-Et d’un pilote d’essai connu ! Enfin la plupart en ont gardé un souvenir merveilleux.
Il y en a encore une cinquantaine qui volent (Ils sont tous classés monument historique par les britanniques). Le problème, c’est les moteurs... Le son du Rolls Royce Merlin a toujours été quelque chose de spécial... Après, quand je suis passé sur cette grande brute de tempest dans la deuxième partie de la guerre, c’était un autre univers ! On passait de trois à sept tonnes, d’une gazelle à un rhinocéros ! (...)
C’était comme si la guerre avait changé. Mais c’(en) était la partie la plus dure.
Les quatre derniers mois, les pilotes allemands étaient enragés. On avait l’impression qu’ils se disaient : « foutus pour foutus... ».
Mais je comprends. Comment voulez vous penser : « Où est ma famille ? Qu’est elle devenue ? Et ma maison ? Ma ville a été détruite ! (...) Mes enfants ? ». C’étaient le drame des bombardements de civils. Contrairement à ce que l’on pensait, cela n’a servi qu’à croître (leur résistance).
- Vous avez volé sur d’autres types ?
- Oh, j’ai volé sur (de nombreux) avions excepté des avions allemands de la guerre.
-Et qu’avez vous pensé du mustang ( le North American P
51, fleuron de l’aviation américaine) ?
-Oui. Si vous voulez, le mustang ne valait quelque chose qu’avec le moteur Rolls Royce. ( ...)
C’était un bel avion. Il n’y a pas de question. Un bel et bon avion !
Mais... Ca ne valait pas un spitfire, loin de là. (...)
-Vous n’aviez pas de doutes quant à la fiabilité de vos appareils ?
-Non. Je n’ai jamais eu de problèmes avec le spitfire. Jamais, jamais, jamais ! J’ai quand même traversé 300 fois la Manche sans jamais avoir le moindre problème.
- Combien de temps durait à peu près vos missions ? combien de temps mettiez vous pour
traverser la Manche ?
- Même pas vingt minutes. (...) Cela dépendait d’où on la traversait. Par endroit, elle est très étroites, ailleurs elle est très large.
Les missions duraient une heure et demi.
Après, sur le Tempest, elle durait deux heures, deux heures un quart. (...) On quittait alors la Hollande en rase motte, on faisait le tour de Berlin, et on rentrait. Tout ça (...) à 600 - 700 km/h. On faisait la tournée des aérodromes allemands. C’étaient des choses à ce retrouver en caleçon, mais si tout allait bien, c’était merveilleux. (...en feuilletant ses notes)
Vous me demandiez ce que l’on pouvais penser dans les combats. Je n’avais jamais publié (ce passage).
Nous sommes donc en patrouille anti jabo au dessus de Brighton. Tout est mouillé. Deux Focke Wulf se glissent sous nous, bombardent la gare avant que nous puissions intervenir, font demi tour et filent. Nous les interceptons. Tandis que l’autre me passe entre les doigts, Max tire l’ailier, le touche tout de même sévèrement mais son moteur Rolls Royce le lâche à basse altitude. Il réussi à se poser sur une plage et s’en tire par miracle. Avant, il m’ordonne de poursuivre l’éclopé, de le descendre, pour moi ! Je le rattrape au milieu de la manche mais mes armes s’enrayent. Problème récurent avec les nouveaux spitfire IX C. Je me rapproche du Focke Wulf mal en point qui a ralenti et perd lentement de l’altitude. Une petite flamme sournoise apparaît à gauche de son capot, aussitôt suivi d’une traînée de fumée grise.
Il n’ira pas loin. Le pilote devrait sauter en parachute tant qu’il est encore temps. Je préviendrais les secours pour lui. Un prisonnier est toujours intéressant à interroger. Je ne pouvais pas lui crier - car il n’y avait pas moyen de communiquer - : « Saute, idiot ! Avant qu’il ne soit trop tard ! » . imperturbable, le Focke Wulf continue à perdre sa précieuse altitude. Cap sur la France et un bien improbable salut désormais. 500 mètres... 300 mètres... 250 mètres...
- A ce moment là, vous l’escortiez ?
- J’étais à coté de lui. Je m’étais mis (de front) à 20 mètres.
- Mais comment réagissait l’allemand ?
- Il ne réagissait pas. Ce qu’il voulait, c’était rentrer en France. « Son moteur a des ratés,
ponctués par des bouffées de fumée noire. Je l’accompagne et je me rapproche tout près, un peu en arrière, par prudence. Je vois le visage du pilote qui a ôté son masque comme une tache pale dans le long cockpit de son avion. Le Focke Wulf est maintenant au ras des flots. Il se rapproche de plus en plus de son image reflétées par le miroir de la surface. Il va mourir. Il est foutu car on ne pose pas un chasseur sur l’eau sans y passer 99 fois sur 100. Je ne veux pas voir ! Je ne veux surtout pas voir ce gamin mourir. A cet instant je réalise que l’on tire sur les avions ennemis comme au stand de foire sur des cibles mouvantes sauf que l’on ne gagne pas un ours en peluche offert à la première fille rencontrée. On tire sur une machine d’aluminium ornée de croix noires et on ne pense pas, ou alors on oublie qu’il y a un homme à l’intérieur.
Ce n’est plus du métal, c’est de la chair comme la mienne. Un frère humain, qui a une mère comme moi, qui aime la vie qu’il va perdre. Pourquoi ? Pour qui ? Je ne veux pas voir ! Je ne veux surtout pas voir ce gamin mourir ! C’est un pilote comme moi. Il a sans doute des cheveux blonds et comme moi, il a vingt ans. Dans quelques secondes, il va mourir, sous mes yeux... Non ! Je refuse ! et je ne vis en jetant un regard en arrière qu’une longue et large flaque d’écume sur une mer calme. Mon dieu, c’est trop bête ! et c’est ça la guerre... Pourquoi l’ai je fait ?
Une heure plus tard, je suis au mess et boit une tasse de thé avec Jacques et Max. Le visage fermé, je confirme sa victoire : « Oui, le pilote est mort. Non je ne saurais jamais son nom. »
- Eh, Clo - Clo, tu fais une drôle de gueule ! » (dit Jacques). »
Eh bien, je crois que nous avons fait le tour de la question. Je commence à être un peu fatigué.
- Je crois que nous allons nous arrêter là. - Vous prendrez bien une tasse de thé ?



Pierre Closterman parle de sa Guerre