Témoignage d’un soldat allemand
ayant participé à la bataille de mai 1940 à Gembloux
L’article suivant a été publié le 31 octobre 1941 dans le journal hebdomadaire de l’armée allemande Militärwochenblatt, sous la signature de l’Obergefreiter (caporal chef) MATTHIAS de la 3e compagnie du 1er bataillon du 12e Schützenregiment qui accompagnait la 4e Panzerdivision du XVIe Panzerkorps du général Hoepner.
Le narrateur relate son arrivée sur le champ de bataille de Gembloux le 14 mai 1940 et son engagement le 15 mai, dès l’aube, face à la 9e compagnie du 3e bataillon du 1er R.T.M. (Régiment de Tirailleurs Marocains), à hauteur de la gare de Gembloux et ensuite au delà, en infiltration en profondeur, le long de la voie de chemin de fer de Gembloux à Fleurus, limite de quartier entre le 1er et le 2e R.T.M.
Cette infiltration allemande, très téméraire, n’eut pas d’influence décisive sur le déroulement de la bataille, puisqu’elle fut neutralisée et ensuite balayée par la contre-attaque française du 15 mai à 18 heures. Rappelons que cette contre-attaque française destinée à dégager le 2e R.T.M. et à rétablir la ligne principale de résistance tout en refoulant les infiltrations, fut exécutée avec succès par le 36e Bataillon de Chars de Combat, accompagnant trois compagnies du 3e bataillon du 2e R.T.M. Au cours de cette opération les Français perdirent 14 chars R35, 160 hommes environ des unités d’infanterie et 10 à 15 officiers et sous-officiers les commandant.
Le but de l’article allemand est l’illustration d’une chronique décrivant chaque semaine un modèle de soldat allemand au cours de la guerre à l’Ouest.
Les notes d’identification des lieux sont de Raoul FRANCOIS, qui s’est servi du plan d’engagement des unités des deux camps sur le terrain, ainsi que de l’horaire comparé entre le récit de l’Obergefreiter MATTHIAS et les données fournies par le major allemand H. Zimmermann commandant le 2e bataillon du 3e Schützenregiment de la 3e Panzerdivision, dans son livre intitulé Der Griff ins Ungewisse - Die Wehrmacht im Kampf
Nous pensons que les lecteurs comprendront mieux grâce à ce texte, qui ne relate d’ailleurs qu’un engagement secondaire dans l’ensemble de l’opération "Dyle ", toute l’âpreté de cette bataille de Gembloux en mai 1940, dont l’enjeu va bientôt être reconnu, après quarante-trois ans d’oubli.
RECIT
Nous faisions partie à cette époque d’une unité d’assaut et notre mission était de prendre l’ennemi en mouvement, avant qu’il n’atteigne la ligne de la Dyle. Dans cette intention, de puissantes forces blindées avaient été engagées au canal Albert. Il n’était pas toujours possible d’avoir le contact avec les forces adverses. La plupart du temps nous foncions si vite que nos PAK (canons antichars), nos unités de FLAK (canons de 88 antiaériens) et notre artillerie légère pouvaient encore rattraper et détruire nombre de chars légers et lourds, belges et français.
La plupart d’entre eux tentaient d’éviter le combat mais tombaient en panne d’essence. Ce fut finalement un grand succès, mais nous n’avions pu empêcher que de puissants éléments ennemis se retranchent derrière la position Dyle. Sur les glacis de cette ligne puissamment fortifiée se trouvait une position organisée et protégée par un obstacle antichars original (barrières Cointet) et un réseau de barbelés (?). L’obstacle antichars fut franchi en des points si nombreux que les puissants tirs d’interdiction restèrent pratiquement sans effet, vu la largeur de la brèche. (C’est la façon allemande de voir les choses !)
Les rames de nos colonnes étaient largement déployées entre une voie ferrée et un bois (Cinq Etoiles). Devant nous, une de nos batteries lourdes répondait aux tirs de l’artillerie ennemie. En arrosant le terrain, l’ennemi mit plus d’un coup au but près de la batterie : une pièce fut touchée, deux servants blessés. Les trois autres pièces comblèrent le vide et, grâce au repérage par le son, nos artilleurs eurent bientôt raison de la batterie ennemie.
Malgré ce succès, il était évident que nous ne pourrions pas rester sur place. Bientôt arrive l’ordre de débarquer : nous quittons alors cette cuvette abritée des vues de l’ennemi et le bataillon entier, largement déployé, gagne sa base de départ (â Baudecet). Tandis que nous nous éloignons en marchant, l’artillerie ennemie se met à arroser la zone de stationnement que nous venons de quitter. (Un message émis en clair avait été capté par un radio alsacien de l’artillerie divisionnaire de la 15e Division de Juin, à Corroy.)
L’obscurité tombait et avec elle, grâce à Dieu, la fraîcheur, car la journée avait été bigrement chaude.
Apparemment, l’ennemi n’ignorait rien de nos mouvements, car la zone où nous progressions fut pareillement prise à partie (sud-ouest du Bois de Buis et le long de la chaussée de Tirlemont) mais nous étions en formation très déployée et nous n’avons de ce fait subi aucune perte.
Tandis que notre artillerie allongeait son tir pour aller cogner derrière la ligne fortifiée, on nous poussa encore en avant et nous avons rejoint notre base de départ, une grande prairie humide, à droite d’une grande chaussée pavée qui mène à Gembloux. (Il s’agit de la prairie au sud-est de la ferme de Basse-Baudecet.) Gembloux est une ville moyenne, entre Bruxelles et Namur, avec pas mal d’industries.
Toute la nuit (du 14 au 15 mai) les chars et l’artillerie roulent à droite et à gauche pour aller prendre position devant nous (la 4e Pz Div au sud de Baudecet, la 3e Pz Div au nord). Nous coupons les barbelés avec soin, en plusieurs endroits, pour accélérer la progression du lendemain.
La nuit est très courte. Les ordres sont passés d’homme à homme. Tout est prêt pour le lancement de l’attaque. Brusquement l’artillerie déclenche un tir hurlant sur Gembloux. Sous sa protection, nous nous mettons en marche. Nous atteignons bientôt la ligne de crête et nous sommes immédiatement reçus par les tirs de mitrailleuses. Sur la droite, une batterie ennemie de lourd calibre démolit un pâté de maisons.
Devant nous, le terrain descend en pente douce en direction de Gembloux (Ratintot), puis remonte en pente plus raide jusqu’aux lisières de la localité. Ce terrain ne nous offrait guère de protection ; l’ennemi pouvait sans doute observer tous nos mouvements et réagissait en conséquence. Plus nous approchons, plus les tirs gagnent en intensité. Mais encore cette fois, ils restent sans effet car nous avançons déployés. A notre hauteur, des pièces antichars et des canons d’infanterie sont pointés, les chars quant à eux restent embossés à l’arrière (côté allemand).
Vu le terrain, il fallait nécessairement que notre bataillon prenne la formation au milieu de la zone d’attaque et l’ennemi l’avait sans doute prévu car il nous assène un tir d’artillerie qui d’après les anciens de 14 18, pouvait se comparer aux barrages roulants de la Grande Guerre.
Le feu était particulièrement nourri sur notre droite qui fut bloquée. Pour nous, à l’aile gauche, il s’agissait de tirer parti de notre position moins désavantageuse pour foncer. Les blindés furent poussés vers l’avant et, sous leur protection, nous parvînmes à progresser jusqu’à 300 mètres des lisières. Mais là, les obstacles antichars, garnis de nombreux nids de mitrailleuses et de fusiliers, se multipliaient (ce sont les obstacles Cointet le long de la chaussée de Wavre) : ils ouvrirent sur nous un tir bien ajusté et, malheureusement, très efficace. Les gaillards étaient si bien camouflés qu’on ne pouvait les distinguer.
Nos chars ont tiré rageusement, à la limite de rupture, mais les mitrailleurs ennemis ripostaient toujours; les gars devaient être drôlement gonflés. Le feu devint si intense que nous fûmes bloqués sur un terrain fraîchement labouré, sans aucun couvert (champ devant le bois d’Enée). Tout mouvement de notre part était ponctué d’une rafale de mitrailleuse. Nous nous enterrions comme les poules dans la poussière.
Inutile de jurer cependant ! Voilà plus de dix heures que nous sommes sous cette grêle de feu et nous n’avons progressé que de 50 mètres dans les positions ennemies. Le chef de notre groupe radio a été tué, un sous-officier et un agent de liaison sont grièvement blessés. J’ai mis les quatre fusils-mitrailleurs en position, mais il n’est pas question de tirer, le terrain dénudé ne nous offre aucun masque.
Soulagés cependant par notre diversion, quelques chars lourds (MK3) s’étaient avancés jusqu’à la route parallèle au front (la N4) et avaient rompu l’obstacle antichar devant une grande usine, déjà disloquée par nos bombardements (Melotte ou le dépôt militaire?) Des éléments de notre compagnie, notre lieutenant à leur tête, avaient réussi à progresser encore sous la protection des chars : cela déclencha un violent tir de flanquement venant de la ville. (Artillerie de la 15e Division qui tirait depuis Corroy, au profit de la 1êre Division Marocaine.)
On avait l’impression d’avoir réussi une percée, mais ce n’était en fin de compte qu’une illusion, car les chars, concentrés sur un petit espace, offraient une cible facile à la défense antichar ennemie, installée sur un petit tertre à 600 mètres de là et elle fit mouche à de nombreuses reprises (canons de 25 français p1acés dans le chemin creux d’Ernage, dans la boucle près du Vieux Bon Dieu). La tentative de percée avait été bien repérée et maintenant tout le secteur était soumis à un feu meurtrier. Au demeurant, il était impossible à nos chars de passer à cet endroit !
Ils furent donc repliés, ainsi que nos camarades. Nous étions là au bon moment pour assurer leur flanquement : tous en revinrent indemnes. Le véhicule chenillé de la 4e compagnie encaissa encore un coup au but.
Nous voilà maintenant entre les premières maisons, collés aux murs et sous une grêle de tuiles et de pierres. La fumée des incendies nous brûle les yeux. Les fils téléphoniques pendent en perruque aux poteaux descellés.
Il faut attendre. Ce ne sont pas les abris qui manquent : les trous d’obus se touchent les uns les autres et il s’en ajoute d’autres à chaque instant. Les gens d’en face ont compris que nous resterons là quoi qu’il arrive : ils concentrent leurs tirs de tous calibres sur notre coin. L’avalanche a une violence insoupçonnée. Nous mettons quand même les armes en batterie. Il faut que je recule un peu pour avoir un meilleur champ de tir. Nom de D. de nom de D. ! Chaque mètre de terrain qu’il faut céder maintenant a été si chèrement conquis. Les pertes sont lourdes et nous voudrions venger nos camarades sur le champ. Je creuse un trou à la pelle à côté du chef de section. Il faut que je m’y reprenne à plusieurs reprises : à chaque fois les obus arrivant me détruisent le travail commencé.
Soudain, un hurlement de douleur là à droite, je saute de mon trou et j’aide le caporal infirmier à panser le blessé ; il faut même que je donne mon paquet de pansements, car il y a longtemps que Hermann a épuisé sa dotation de combat. Nous ne pouvons nous expliquer qu’en criant tant les sifflements et les explosions emplissent l’air. Puis nous évacuons le camarade, grièvement blessé à la cuisse. La terre jaillit à côté de nous, derrière nous, mais nous passons...
D’instinct je regagne mon trou, et il y faut de l’obstination. Il ne peut y avoir de feu plus dense et il nous paraît affreux de devoir rester là. Deux fois, trois fois, le nuage noir de l’éclatement est juste devant moi. Un obus bascule à mes pieds et s’arrête... non explosé. Cette fois cela aurait pu être mon tour, mais la Providence ne m’a pas encore sonné. Je m’étonne moi-même. La violence de cet interminable bombardement m’a complètement anesthésié. Je rampe vers mon trou, l’ayant à nouveau identifié et je dois en retirer deux poignées d’éclats bouillants.
Le lieutenant vient d’être appelé près du capitaine. Reprise de l’attaque, enfin ! Cet éternel grondement met les nerfs à vif. Au coup de sifflet, la compagnie repart à l’assaut, mais plus d’un reste au sol : la camarde a encore fait son abominable moisson.
Nous atteignons "l’usine et sa rampe de chargement". L’artillerie ennemie tambourine sur l’usine cette fois, ; des pierres, des éclats de verre, des bouts de ferraille tourbillonnent de toutes parts. Il y a à nouveau des blessés mais il faut passer : c’est maintenant ou jamais que nous le pourrons. Nous sommes au comble de la rage. Notre chef de bataillon, le major Popp, a été tué. (il repose à Lommel.) Nous mettons la MG 42 en batterie dans le hall de l’usine et, d’un bond, nous sautons sur le ballast en tirant à la mitraillette pour neutraliser le versant du talus d’en face. (ils s’infiltrent dans l’encaissement de la ligne de chemin de fer de Fleurus.) il y a encore une mitrailleuse dans la maison du garde-barrière (passage à niveau de l’Agasse).
Des éléments de tête d’autres unités ont rejoint notre compagnie. Je coupe un chignon de fils téléphoniques et, un par un, nous sautons sur le ballast. Des éclats de rails et de traverses fauchent en miaulant. Il y a beaucoup de blessés, c’est inévitable dans un assaut frontal, sans couverture et sous un tel déluge de feu.
Avec beaucoup de chance, nous installons nos armes, 200 mètres en avant. C’est tout. Pas moyen d’aller plus loin. On a eu la mitrailleuse de la cabine du garde-barrière. Mais notre lieutenant a reçu son compte : balle dans la poitrine en haut à gauche. Il se mord les lèvres, mais la vie est brisée, déjà les yeux deviennent vitreux.
Encore deux autres qu’on emporte. Nous n’avons pas le temps. Là, sur la gauche, deux noirs bondissent, nos rafales les fauchent tous les deux.
Des chars français, bien camouflés sont en position sur la hauteur (entre la chaussée romaine et le chemin de fer). Ils balayent tout le terrain de leurs salves. (Ce sont les chars du 36e B.CC. qui mènent la contre-attaque du 15 mai en fin d’après-midi). Mais heureusement l’artillerie française est devenue nettement moins virulente. (En effet, vers Bertinchamps. l’artillerie française vient d’être attaquée par une meute de 90 Stukas du VIIIe Fliegerkorps du généra/ von Richthofen venant de la région de Cologne.) De plus le repérage par le son a localisé les batteries ennemies et elles ont été détruites. Seules quelques-unes tirent encore. (A la vérité la majorité de l’artillerie divisionnaire française va se remettre en position et reprendre le tir, malgré des pertes.)
Je rampe jusqu’à un chemin creux qui croise la voie ferrée en direction de l’ennemi. Le chef de bataillon s’y trouve. Le haut remblai offre une bonne protection, mais impossible de lever la tête. Les positions ennemies sont au plus à 100 mètres. Une sensation bizarre et excitante. La division et la brigade nous encouragent à tenir.
Voilà que l’artillerie française transfère son tir sur nous. Le premier obus de la seconde salve tombe en plein sur le rebord du remblai. Fumée, terre, poussière, éclats ! On n’ose pas regarder devant soi : sept camarades tués, deux grièvement blessés. C’est maintenant qu’il faudrait risquer le tout pour le tout. Le visage exsangue, le regard fixe, on compte : deuxième salve, troisième, quatrième,.., toutes trop longues, Dieu merci.
Assis contre le remblai, je fume une cigarette donnée par le capitaine de la 4ème compagnie. En dehors du chef de bataillon, de deux commandants de compagnie et d’un lieutenant, nous ne comptons plus que 31... une poignée de durs à cuire !
C’est alors que nous arrive la nouvelle à la tombée de la nuit, repli sur toute la ligne d’attaque, vers nos bases. Les batteries ennemies se sont tues. Seules quelques rafales de mitrailleuses passent encore au-dessus de nos têtes. On recense armes et outils et on se les répartit, car il faut tout emporter. En une heure, c’est fait. Nous nous replions en silence avec armes et bagages pour nous mettre en position un peu plus loin à droite, toujours sur la voie ferrée.
Nous sommes à bout : j’ai vu beaucoup de misères et pourtant nous l’avons fait. Les meilleurs d’entre nous sont tombés à Gembloux.
Le lendemain, nos blindés perceront et nous ferons un grand nombre de prisonniers, parmi eux beaucoup de Marocains. Sur pied les gaillards puent comme la peste ! (En réalité, les Allemands ne perceront réellement la ligne de la Dyle que le 17 mai dans la matinée. Le 16, un détachement de reconnaissance seulement franchit la ligne de chemin de fer n0 161 et fut stoppé durant tout le jour, à Marbais, par les hommes du 1er R..T.M. du colonel Bocat).
LA BATAILLE DE GEMBLOUX (12 au 16 mai 1940)
On appelle ainsi les combats qui opposèrent sur la position dela ligne KW-NAMUR, dénommée " position Dyle " ou "Trouée de Gembloux", les unités de la 1ère Armée française (Gal Blanchard) et les unités des Divisions Panzer (3 et 4) du XVIème Panzer Korps (Gal Hoeppner),, fer de lance de la 6ème Armée allemande (Gal von Reichenau) appartenant au Groupe d’armée B (von Bock).
Cette bataille, dont la 1ère phase est la première bataille de chars de l’Histoire, marqua une stabilisation dans le déroulement de la "guerre éclair". A Gembloux, les franco-marocains réussirent un des faits d’éclat de la seconde guerre mondiale en donnant un coup d’arrêt de 72 heures aux panzers. Gembloux, seule victoire terrestre française de 1940, est aussi "La Victoire Oubliée", car l’Histoire se montre curieusement amnésique à son sujet, tant les nombreuses défaites alliées de cette époque finirent par s’imposer au détriment des faits d’armes les plus glorieux. L’habileté des services allemands de propagande n’y est pas étrangère. Rappelons les faits. En 1940, la position Dyle (Wavre-Namur) était attribuée aux Forces françaises et à la 1ère Armée en particulier (l’élite de l’armée française de l’époque). Devant cette armée, le Corps de Cavalerie Prioux composé des 2ème et 3ème divisions légères mécaniques prennent contact avec l’ennemi qu’elles contiennent malgré des pertes sévères le 12 mai à hauteur de Orp-le-Grand, Jauche et Merdorp. Ensuite le 13 mai, elles jouent le combat retardateur parmi les obstacles antichars belges, de manière à ralentir au maximum l’avance ennemie et permettre l’installation de l’infanterie des 3ème et 4ème Corps de la 1ère Armée sur les positions prévues du seuil de Gembloux. La mission du Corps de Cavalerie prend fin sur ordre, le 14 à l’aube, quand commence la 2ème phase de l’Opération Dyle.
Durant deux jours et deux nuits, les combats violents et meurtriers engageant chars, artillerie et infanterie vont se dérouler entre Chastre et Gembloux (Ernage), entre les régiments franco-marocains et les unités blindées mixtes allemandes. Au prix d’efforts surhumains la 1ère Armée réussit à contenir l’ennemi et, à la nuit du 15 au 16 mai celui-ci est refoulé sur ses positions de départ du 14 à 1‘aube, avec de très lourdes pertes en hommes et en matériel. De plus, réussissant un décrochage tactique de nuit d’exécution parfaite, la 1ère Armée française réussit à tromper les allemands et à leur faire "perdre", sans nouveaux combats importants, la journée du 16 mai et la nuit du 16 au 17 mai.
Il n’en sera malheureusement pas de même au Sud de Namur, face à l’effort principal des 7 divisions blindées allemandes débouchant du massif forestier de l’Ardenne et mettant en défaut les prévisions" du Haut-Commandement français...
Surprise en flagrand délit d’installation sur la Meuse entre Namur et Givet, la IXème armée du Général Corap ne put interdire là aux chars de Rommel de franchir la Meuse à Houx (7 Pz D) et à Dinant (5 Pz D), dès le 13 mai et à partir du 15 au soir, de foncer par la trouée de Philippeville vers la position frontière de Clairfayts. Dans ces conditions la 1ère Armée française, malgré sa situation de contre-attaque possible à Gembloux, recevra le 15 au soir des ordres de repli pour la nuit suivante afin d’éviter l’encerclement. Au 4ème Corps en particulier les pertes sont sévères. Voilà pourquoi la Victoire de Gembloux ne put être exploitée et rata son entrée dans l’Histoire par la grande porte.
La suite est une autre histoire, mais les heures gagnées à Gembloux préparaient les possibilités ultérieures de Dunkerque.
Les valeurs intrinsèques de la 1ère Armée française "transfigurent" littéralement les faibles moyens français, faisant du 4ème Corps en particulier, un outil militaire de première valeur qui ne manqua pas d’étonner les allemands eux-mêmes, au point qu’ils en vinrent à surestimer les forces qui leur faisaient face à Gembloux.
Et maintenant, en guise de bilan :
Côté allemand :
Perte de plus de 300 engins blindés sur les 750 engagés ;
Perte de, au moins, plusieurs centaines de soldats d’élite (le nombre exact restera probablement toujours inconnu) ; Perte d’une dizaine d’avions de reconnaissance, de combat et de bombardement ;
Echec de la manœuvre visant à capturer la "Dyle Stellung" dans les délais les plus courts, " battre une partie aussi considérable que possible de l’armée opérationnelle française et gagner le plus de temps possible pour mener la guerre contre l’Angleterre.... ". Tels étaient les ordres allemands d’opérations pour la 6ème Armée et le XVIème PZ K.
Côté français :
Victoire tactique non exploitée SUR ORDRE DU GROUPE D’ARMEES. (Risque d’encerclement par le Sud) ;
Coup d’arrêt de 72 heures aux Panzers ;
Premier échec au Blitzkrieg depuis 1939 ;
Perte de plus de 200 engins blindés et matériels divers ;
Perte de centaines d’hommes. Le nombre exact nous restera toujours inconnu.
FRANCOIS Lt. Col (r)
POINTS NEVRALGIQUES DE LA BATAILLE DE GEMBLOUX
1. Chemin Creux — Capitaine Grudler
Ici combattit le 1 B du 2 RTM (1ère Div. Maroc.)
Ce bataillon fondit entre le 14 et le 15 mai, près de 1.000 hommes furent perdus.
Le Chemin Creux fut le théâtre de corps à corps sanglants.
Les Allemands perdirent la majorité de leurs chars lourds (4 PZ Div.) au passage de la voie ferrée et dans le champ à l’est de la ligne de chemin de fer.
2. Sart-Ernage
P.C. du 1er B du 2 RTM
La ferme de Sart-Ernace ne tombera pas aux mains de 1’ennemi, au cours de la bataille. Le soir du 15 mai, elle est cependant en flammes au moment où les Allemands se replient sur leurs positions de départ du 14 au matin (Baudecet)
La lisière du petit bois était occupée par la section "Armes lourdes" du bataillon.
3. Pont de la Croix
Ouvrage non sauté durant la journée du 14 mai afin de permettre le recueil d’éléments de la 3ème DLM du Corps de Cavalerie (F). Ce pont fut 1’enjeu de violents combats et un des principaux objectifs des chars du 35 Rgt de la 4 PZ Div.
Les Allemands ne purent le capturer intact. Le génie français le fit sauter le 14 au soir en même temps que le pont de l’Agasse, à l’issue d’une contre-attaque des chars R35 du 35 B.C.C. (F).
4. Baudecet
Base de départ des attaques allemandes (3 et 4 PZ Div) les 14 et 15 mai, les fermes abritèrent les E.M. divisionnaires et régimentaires. Blessé le Général STEVER commandant le 4 PZ Div fut relevé ici par le Colonel VON BOINEBURG, commandant de la 4ème Brigade. Toute la zone fut l’objectif constant de l’artillerie française qui, au fil des 2 jours, pilonna sans relâche les concentrations de plus de 300 engins blindés allemands, les obligeant à se replier plus à l’est jusqu’au 17 mai.
Table d’orientation
Située à Grand-Manil à côté de la ferme de Penteville, elle vous indique la position des unités le 14 mai 1940.
Ferme de Bertinchamps
Base arrière de la 1ère Division Marocaine. Position des 75 m/m français en appui.
Point de départ des contre-attaques de chars français.
Ferme du Moulin Brabant
Ambu1ance de 1ère ligne allemande, fonctionna durant toute la bataille.
Musée militaire à Cortil-Noirmont
Ouvert sur demande ainsi que le dimanche après-midi et les jours fériés de 14 à 17 h.
Cimetière militaire français à Chastre
rassemble approximativement quelques 100 tombes des soldats français tombés sur le sol belge en 1914-1918 et 1940-945 qui n’étaient pas inhumés dans des cimetières de regroupement.
Pour plus de détails, consulter le livre d’or à l’entrée de la nécropole.
CAMPAGNE DE FRANCE
Ceci est la copie de mon discours fait à CARNIN dans le Nord, lors de la célébration du 25ème anniversaire de cette bataille, bataille au cours de laquelle je fus blessé.
Il y a vingt cinq ans, jour pour jour, le gros de l’armée française des Flandres se sacrifiait pour couvrir la retraite sur Dunkerque puis l’embarquement des forces britanniques et d’une faible partie de nos éléments.
Les forces françaises des Flandres comptaient parmi les meilleures ; elles avaient été choisies avec soin pour constituer un corps d’élite destiné à opérer en Hollande et en Belgique en cas de violation par les Allemands des frontières de ces pays.
La mission initiale de nos unités était de faire front sur la position de la Dyle pour y recueillir les forces belges. Le 3ème bataillon du 1er Régiment de Tirailleurs Marocains, le même qui opérait à Carnin, se trouvait pendant les journées des 13 et 14 mai 1940 à Gembloux, il occupait le sommet du triangle défensif du régiment. Il subit, dès son arrivée sur les positions, les assauts des chars et de l’infanterie allemands. Le bataillon brisa l’offensive d’un corps blindé ennemi. Le 15 mai au matin, le bataillon tient toujours ses positions dans Gembloux, bloquant l’ennemi aux lisières du village, efficacement appuyé par le groupe d’artillerie du 2/64 ème. De nombreux chars allemands, hors de combat, témoignent de la valeur de la résistance. Mais les pertes au 1er R.T.M. furent aussi très lourdes. Le 3ème bataillon, par sa situation, fut très éprouvé dans ces combats, deux compagnies (dont la mienne) perdirent plus de 40% de leur effectif. Mais que dire des pertes de l’ennemi ? Il fallait qu’elles fussent bien graves pour que le commandement ait décidé de renoncer, après avoir reçu l’ordre formel de percer la position Dyle !
Mais une armée de valeur, si on ne la rompt pas, on la déborde et on l’enroule, et, après le forcement par l’ennemi du passage de la Meuse à Sedan, le succès tactique de Gembloux, trop localisé, était sans répercussion valable sur le sort d’une bataille déjà stratégiquement perdue.
Pour ces vaillantes troupes qui, depuis le 10 mai, n’ont pas eu le moindre repos et ne sont arrivées sur leur position que pour y subir des assauts furieux, l’ordre d’avoir à reculer sans y être contraint par l’adversaire cause la plus douloureuse déception.
Le 25 et le 26 mai, à la veille de son arrivée à Carnin, le 3ème bataillon combattit pendant deux jours et deux nuits pour défendre le passage de la Deûle à Meurchin. Le repli des éléments britanniques, sans combattre, permit aux allemands de prendre pied sur la lisière du bois de Meurchin et occuper la cité Saint-Jean. Pour éviter l’encerclement, à la suite de ce mouvement, notre unité dut décrocher à l’aube du 27 mai, en abandonnant sur la berge même du canal des positions solidement établies et sans avoir été contraints par l’ennemi.
Le 3ème bataillon du 1er régiment de Tirailleurs Marocains prit position à la lisière sud de Carnin le 27 mai, vers 6 heures du matin environ. Il s’établit sur des retranchements sommaires que les hommes continuèrent à creuser. Les premiers éléments ennemis furent aperçus tout au début de l’après-midi; après les avoir bien repérés et en évitant de nous faire voir, nous les laissâmes approcher à bonne distance de feu. Subitement l’attaque se déclencha partout à la fois. La bataille fit rage jusqu’au soir, suivie de furieux combats de rue. Par le feu des quatre fusils mitrailleurs et d’une cinquantaine de fusils nous fixions les allemands devant nous. Après un arrêt, les allemands ébauchèrent un débordement sur notre droite, à la suite d’une défection d’une section de la 11ème Cie qui se repliait, ayant épuisé toutes ses munitions. Ma section réussit, par le feu de ses deux F.M. à colmater cette brèche et à enrayer ainsi leur tentative d’infiltration. Les allemands, plaqués au sol par notre feu, commencèrent à nous harceler de leurs minems. Je fus touché par un des obus de leur mortier, alors que j’assurais le service d’un fusil mitrailleur. Ma section fut en partie atteinte par ce même obus, et, me croyant mort, les hommes ne réagirent plus après ma blessure; j’étais tombé inanimé sur le rebord de la tranchée.
Pour perpétuer le courage et le sacrifice de tous les tirailleurs tombés à Carnin, dont le lieutenant BAILLET, Monsieur le Maire a su insuffler à la population de Carnin, serrée autour de lui, un sentiment vivace de reconnaissance et de piété symbolisé, ici, par ce monument érigé grâce à une souscription spontanée de toute la population de Carnin.
Au nom de tous mes camarades, au nom aussi des familles éprouvées par le sacrifice de ceux qui tombèrent ici, je dois exprimer à Monsieur le Maire et a toute la population mes remerciements les plus vifs et ma reconnaissance infinie. Je vous assure aussi de toute mon affection.
Par vous, habitants de Carnin, par votre culte fervent du Souvenir, par votre reconnaissance et, par le sacrifice suprême consenti par mes camarades, la FRANCE continue. Vive la FRANCE.
Monsieur François CEGARRA
Officier de la Légion d’Honneur - Médaille Militaire
Croix de Guerre avec palmes - Chevalier de l’Ordre Ouissan Alaouite
Officier du Mérite Combattant
ATTESTATION
Je soussigné CARDONA Gabriel, Chef de Section en mai 1940 au 1er Bataillon du 1er Régiment de Tirailleurs Marocains certifie sur l’honneur avoir connu, dans les circonstances suivantes, pendant la bataille de Marbais (Belgique) le Sergent François CEGARRA du 3ème Bataillon du même Régiment.
Après un assaut à la baïonnette, je fis ouvrir le feu sur des soldats Allemands en fuite. Malheureusement des chars débouchèrent de chaque côté du mamelon où nous étions postés et nous mitraillèrent. Je fus blessé à la jambe gauche. Lorsque le Lieutenant-Colonel BOCAT, commandant le Régiment, ordonna le repli, je me roulais jusqu’au bas de la butte. Je fus relevé par le Sergent CEGARRA que je ne connaissais pas.
M’appuyant sur son épaule et sautillant sur ma jambe droite, nous réussîmes à rejoindre la route de Charleroi.
Ce parcours d’environ 500 mètres, peut-être plus, fut bien entendu, effectué debout. C’était donc une cible parfaite pour l’ennemi. Les balles traçantes tirées par les chars Allemands soulevaient la terre autour de nous. Il y avait de nombreux morts et blessés. Cependant, CEGARRA n’a pas voulu m’abandonner ; pourtant il aurait pu se replier par bonds successifs avec beaucoup moins de risque.
Je pense souvent à cet acte de bravoure et d’abnégation.
Castelnau le Lez (Hérault) le 27.2.1977
Signé : CARDONA
Compléments d'information fournis par M. Ph. Heinderyckx
"Etant moi-même historien amateur et travaillant actuellement sur un récit des combats du 10 au 12 mai 40 sur le Canal Albert, je suis en mesure de fournir des précisions sur les pertes allemandes de le 4.Pz." Pertes de la 4.Pz Div le 15 mai 1940 (réf : historique de la 4.Pz par le Gen Joachim Neumann, d'après les journaux de marche originaux et ses notes personnelles) Blindés : 32 Tués : 113 Blessés : 434 Disparus : 29 En raisons des pertes des journées précédentes mais surtout en raison des véhicules endommagés et en panne, il ne lui restait guère de blindés en état de marche le soir du 15 mai. Mais attention, le nombre de blindés disponibles remonte très vite pour une unité qui occupe le terrain après les combats et peut récupérer et réparer bon nombre de chars hors de combat mais réparables. Ainsi, sur un effectif théorique de 325 chars, la 4.Pz, au soir du 15 mai 40 comptait : 137 chars opérationnels 16 mai 40 : 161 17 mai 40 : 240 !
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Dernière modification le : 17/05/2010 @ 16:05
Catégorie : Histoire
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