Depuis la fin mai 1943, mon escadrille, la 141 Squadron volait sur Mosquito.
En effectuant des missions “ d’Intruders de nuit “ sur le continent, le plus souvent au-dessus de l’Allemagne, notre tâche principale consistait à protéger les bombardiers lourds au moment où ils étaient le plus vulnérables, c’est-à-dire à l’instant où ils arrivaient sur leur objectif, ainsi que quelques minutes avant qu’ils ne l’abordent et quelques minutes après qu’ils l’avaient quitté.
A partir de novembre, il était arrivé que nos radars de bord, fonctionnaient mal ou même tombaient en panne. Cette défection provenait d’un mauvais entretien systématique de ces radars par nos mécaniciens , mais on n’a découvert la faute que plus tard.
Alors, en décembre 1943 on a retiré pour un bon mois tous les Mosquitos de l’escadrille et on nous a rendu nos vieux Beaufighters, mais les missions n’ont pas changé.
A cette époque le Bomber Command avait décidé d’aller bombarder Osnabrück, ville située à l’Est de la Ruhr.
Il y avait là deux fabriques de locomotives et un très important dépôt ferroviaire allemand.
Les Anglais y mettaient le paquet mille gros bombardiers quadrimoteurs.
Comme chasseur de nuit, je partais individuellement et j’arrivais sur Osnabrück une demi-minute avant les bombardiers. Ceux-ci qui formaient un « stream » , un convoi long de dix à douze kilomètres, survolaient la Baltique, comme s’ils se dirigeaient vers Hambourg, mais, à un moment précis le chef de convoi lançait des « flares », bombes éclairantes, et toute la colonne changait de cap, virait au Sud pour tomber sur Osnabrück où on ne les attendait pas.
En dix minutes, tous les bombardiers étaient passés sur l’objectif et avaient largué leurs bombes, puis ils s’en retournaient par une voie choisie au sud de la Ruhr.
Aussitôt après le passage des bombardiers, les chasseurs de nuit allemands arrivaient mais ils étaient en retard.
C’est à ce moment que mon navigateur percevait sur son radar des contacts sur les ennemis. Alors mon travail commençait; la poursuite des chasseurs de nuit allemands.
Nous avions le plus vieux radar anglais : le Mark IV, dont le « range », la portée, était faible, mais on ne pouvait exposer les derniers radars sophistiqués.
Me voilà donc en chasse plein gaz, pour arriver à portée de vue ou de tirs des ennemis, mais ceux-ci disparaissaient l’un après l’autre. Après une demi-heure de vol à plein régime et dans toutes les directions, mon navigateur m’annonce “ C’est fini, je n’ai plus de contact, nous pouvons rentrer “. Je lui réponds « Il est grand temps car les jauches d’essence ont fortement baissé ».
Je suis heureusement à une altitude de plus de cinq mille mètres. Je plonge vers l’ouest, mon avion en piqué, plein gaz au grand pas des hélices.
Un véritable feu d’artifice se déclenche, des centaines d’obus éclatent partout dans nos environs. De toutes parts, je vois les coups de départ des canons et l’éclatement des projectiles. Deux cents projecteurs nous accrochent par douzaine à la fois, nous passent de batteries en batteries et ne nous lâchent plus.
Je vole de zigzags en zigzags, je fais varier à chaque instant l’altitude, la direction et la vitesse. Mon avion vibre à tout casser, les moteurs tournent au delà du régime permis. Le ciel est complètement embrasé, les obus éclatent à une cadence de dix à la seconde. Certains sont bien près de nous, mais beaucoup d’autres sont loin, on en voit à cinq kilomètres devant nous, à trois kilomètres derrière nous et de chaque côté. C’est hallucinant. Tous les canons de la Ruhr pour un seul avion. Toujours en piqué, toujours en virage, je suis descendu à deux mille mètres. Alors, ce sont les mitrailleuses qui entrent dans la danse. Je vois les gerbes de balles traçantes qui montent et s’inclinent vers moi, qui me précèdent ou qui me suivent. Je les évite par des écarts brutaux et des plongées affolantes. C’est un enfer inimaginable. Après dix à douze minutes les projecteurs commencent à s’incliner vers l’horizontale et les éclats d’obus diminuent, puis tout s’arrête, je suis sorti de la Ruhr et à cent mètres du sol.
Je ramène mes moteurs au régime de croisière, je vérifie mes instruments, mes pressions d’huile et d’essence et j’aperçois une riviere, c’est la Meuse. J’arrive au-dessus de Visé et j’aperçois la grande tache noire de Liège.
Mon navigateur est plus mort que vif, il pousse des “ ouf “, “ ouf »
Ne connaissant pas exactement l’endroit où je me trouvais, je prends un cap plein ouest, 270 °, mais après une minute de vol, six shrapnels éclatent autour de nous et six projecteurs s’allument au sol. Je me dis j’arrive sans doute déjà au-dessus de la Ruhr, mais je vais prendre mon cap de retour au nord de cette région et je vire de 90° plein Nord, mais immédiatement six autres obus éclatent très près de nous et deux autres batteries de projecteurs s’allument. Qu’à cela ne tienne me dis-je, je vais rentrer par le Sud de la Ruhr et je vire de 180° plein Sud, et la même chose se produit.
Alors je crie à mon navigateur; “Il n’y a plus à tergiverser, sinon nous tomberons en panne d’essence, il faut foncer » et il me dit “ nous avons dûrement encaissé, c’est étonnant que tout marche encore. »
Je reprends de l’altitude et je repasse la côte belge à Knokke où deux salves de la Flak arrivent vers nous, mais loin. C’ est la ration habituelle à chaque passage, cela ne nous émeut plus.
Nous atterrissons à notre base à West Rainham. Il reste douze gallons d’essence dans les réservoirs et nous racontons notre aventure.
Les mécaniciens se couchent sur les ailes et sous le fuselage et inspectent l’avion avec leurs lampes de poche. Il n’y a pas un trou, pas un éclat d’obus, pas une égratignure. C’est un miracle.
C’était mon dernier vol en Beaufighter, et le lendemain, je retrouvais mon bon Mosquito, bien plus rapide.
Extrait du site les Vieilles Tiges.